L’explo-nentielle recherche pharmaceutique et ses porosités avec les designers de drogues.

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« Lorsqu’on s’intéresse à tout ce qui est de l’ordre des addictions, l’on observe cliniquement la frénésie du pas-tout, des pathologies où l’on met en valeur précisément le sans limites de la série » nous dit Jacques-Alain Miller[1]. Les laboratoires seraient-ils atteints par cette frénésie ?

Un patient est mort le 17 janvier 2016 à la suite d’un essai thérapeutique réalisé par le centre de recherche Biotrial à Rennes, quatre autres ont été hospitalisés. Une course contre la montre est menée depuis les années 1960 par les centres de recherche. Ils ont identifié non seulement la molécule contenue dans le cannabis, le delta 9 THC (1964), mais aussi les endocannabinoïdes sécrétés naturellement par l’organisme et leurs récepteurs CB1 et CB2 (1992).

Depuis, ces recherches ont débouché sur la découverte d’inhibiteurs ou d’activateurs d’enzymes, autant potentialisateurs que freinateurs[2], à l’origine d’une production explo-nentielle de molécules synthétiques, soit plus de cent soixante substances[3], dont fait partie la BIA 10-2474 testée lors de l’accident. Elles sont désormais fabriquées en grandes quantités en Asie et dans quelques pays de l’Est. Ces fabricants comme les laboratoires ont brouillé les pistes en remplaçant par un nom scientifique la racine du nom du cannabis de la molécule. La molécule destituée de son rang de drogue peut alors rentrer dans le high legal, c’est-à-dire un marché échappant à la législation. Cette feinte est redoublée d’un camouflage par des herbes permettant de les rendre disponibles à l’achat sur internet sous une démultiplication de noms de produits (K2, Spice, Aroma, Mr Smiley, Zohai, Eclipse, Black Mama, Red XDawn, Blaze et Dream etc.), véritable vitrine d’une porosité entre la recherche des laboratoires et l’artisanat des designers de drogues. Plus étrange encore est le AB-FUBINACA de Pfizer qui reste au stade de cannabinoïde de synthèse et ne passe pas au rang de recherche sur un médicament.

J.-A. Miller précise : « Dans le pas-tout social, au contraire, le signifiant ne nous arrive plus par blocs organisés, il tend à se présenter à nous par des fragments discontinus, par exemple par des informations immédiates »[4], à l’image de ce « plus fort que tout », aussi bien côté industrie pharmaceutique que côté consommateurs pris dans la démultiplication des drogues de synthèse, deux versants d’une clinique du pas-tout. Encore faut-il nous rappeler, avec J.-A. Miller, que « le pas-tout, ce n’est pas un tout qui comporte un manque, mais au contraire une série en développement sans limites et sans totalisation »[5].

 

 

[1] Miller J.-A., « Intuitions milanaises », Mental, n°12, mai 2003, p. 24.

 [2] Inserm, Système endocannabinoïde et cannabinoïdes exogènes, chapitre 14, pp. 285-296. http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/171/?sequence=19

[3] Thèse de docteur en pharmacologie de Pauline Nouvelon :

http://dune.univ-angers.fr/fichiers/20080091/2014PPHA3356/fichier/3356F.pdf

[4] Miller J.-A., « Intuitions milanaises », Mental, op. cit., p. 19.

[5] Ibid., p. 17.

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