Abbraccio mortale

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Nous sommes tous des Européens, mais l’histoire de l’Europe, nous la connaissons peu. Je précise. Il fut un temps où l’Europe était l’héritière de l’Empire romain. Dante le pensait ainsi et voyait les choses sous un double aspect : un Empire politique – aux mains de l’Empereur qui, rapidement, sera à la tête du Sacré Romain Empire plutôt Germanique – et un Empire religieux, aux mains du Romain Pontife, toujours sous la garantie du Saint-Esprit. Dante fut désavoué par les manigances des uns et des autres désireux de s’accaparer toujours plus de pouvoir. Ainsi d’un côté, sont nés des Royaumes, toujours en guerre ou unis entre eux par des alliances et, de l’autre côté, Papes et Anti-Papes – à un moment, il y en avait six à la fois – qui s’excommuniaient réciproquement pour mettre la main sur l’œuvre… du Christ. Dans ce contexte, il y avait des Français catholiques qui professaient le gallicanisme – tendance doctrinale et politique née au XIVe siècle ayant pour but d’affranchir Paris de Rome, et des Français catholiques romains, Jésuites en tête. On les appelle les Ultramontains. C’est un terme refoulé à Rome, et donc que je ne connaissais pas, mais que j’ai appris par Jacques-Alain Miller.

Depuis lors, l’histoire des nos Pays est une inconnue. Qui connaît l’histoire de la Belgique en dehors des Belges ? Pourquoi y a-t-on nommé roi un Allemand lié à l’Angleterre, et non pas le Prince de Ligne ? Cela aurait sans doute plu à Lacan qui signa « L’étourdit » au château de Beloeil ! Qui, des Italiens, connaît Maurras, le collabo « dans la dignité », qui s’était inspiré du « Piémontais » de Maistre et qui admirait Mussolini, tout en haïssant Hitler et les Juifs à la fois ?

La lecture de L’instant de voir a comblé quelques trous dans mon histoire de France. Et si j’ai bien compris ces dernières parutions, il n’y eut pas seulement des hommes de droite qui ont collaboré avec le nazi-fascisme, mais aussi des hommes de gauche.  Pour moi, c’est une révélation. Je n’ai pas connaissance de pareilles ordures en Italie, au moins à cette époque. Je ne dirais plus cela à l’heure actuelle.

En France, on assiste à un scénario où Marine Le Pen pourrait arriver au pouvoir et gouverner « avec dignité », non pas avec les votes du centre droit ou du centre gauche, mais avec les votes de l’extrême droite et de l’extrême gauche. Si ce fait est acquis, il est alors normal qu’elle se présente avec des paroles apaisantes dans un discours animé de bon sens pour attraper tous les quelconques qui aspirent à rester chez eux, bien tranquilles, à dormir en paix et à ne pas entendre les appels des milliers de bouches des « déportés » produits par notre civilisation. Le danger français pourrait se répandre. C’est ce qu’en Italie, on appelle « il mal francese », et qu’en France, on nomme « le mal napolitain ».

On verra ce qu’il en est quand les maîtres de la politique italienne (avec une minuscule) décideront de nous faire voter. Pour l’instant, en Italie, ce n’est pas l’accolade mortelle, l’abbraccio mortale, entre Marine Le Pen et la gauche de la gauche, mais ce qui se dessine, contrairement aux apparences, c’est l’accolade réitérée entre Renzi et… Berlusconi. Certes, cette accolade est favorisée par la crainte du mouvement Cinque Stelle. Les Italiens sont-ils populistes ? Ou s’agit-il d’un peuple qui a fini par se lasser de la casta au pouvoir ? Sont-ils des démocrates ou sont-ils des naïfs, en proie à un gourou, qui par ailleurs est un comédien de talent ? Actuellement, il semble que seul un mouvement dit populiste puisse contrer le populisme. Or cette crainte pousse les deux « grands hommes » italiens à justifier leur accolade. Ce qu’on en attend, c’est la répétition du même. Il y a, en chiasme, deux accolades à l’horizon : l’une qui plongerait la France dans l’obscurité profonde, et l’autre qui pousserait l’Italie à bâiller aux corneilles. En tout cas, l’Europe, elle, peut attendre.

 

 

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