« Moonlight » ou de l’érotisme retrouvé

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« Faire l’amour, comme le nom l’indique, c’est de la poésie »[1]

Les érotiques contemporaines semblent davantage associées à une jouissance qu’on pourrait qualifier de purement homosexuelle, en tant que circuit autoérotique qui exclut l’hétéros et qui est réduit à une activité sexuelle élémentaire qui « se consomme si bien que se consume »[2].

Nos temps modernes annihileraient ou ne voudraient rien savoir de l’érotisme dans sa dimension poétique, comme pratique d’initiation, de transmission d’amour de la vérité, comme acte transgressif, ou encore comme transmission, production de savoir, autant de thèmes que Michel Foucault a pu cerner en fouillant l’histoire du dispositif de la sexualité[3].

Moonlight, Oscar du meilleur film 2017, est un voyage poétique, voire initiatique, mettant en scène trois séquences de la vie d’un jeune afro-américain, Chiron, « qui vit dans ce bas monde comme à l’étranger »[4]. L’enfance, l’adolescence et la vie de jeune adulte de notre protagoniste retracent, dans un décor contemporain, ce que notre époque aurait à jamais perdu : un érotisme faisant appel au voile de la Pudeur laissant entrevoir l’intensité des émotions.

À l’écran, s’avance un corps parlant affecté par le langage, par la rencontre avec l’autre qui, empruntant les voies de l’érotique, se fera, au cours du voyage, son Autre, donnant sens à sa trajectoire. Ce parcours lui permettra de s’engendrer (se parere[5]) comme hétérosexuel, c’est-à-dire : de le séparer de la jouissance solitaire de l’Un.

La caméra nous entraine dans un ghetto noir de Miami, où la violence des cités enfumées par les odeurs du crack est imprégnée par une sensualité subtile et étrange. Dans les banlieues délaissées aux lois des dealers et des flingues, par une série d’évènements et de rencontres dues au hasard, Chiron parviendra à extraire la part de vérité de son être sexué. S’écrit ainsi une histoire dans laquelle l’autre arrive à s’inscrire comme hétéros. L’érotisme d’un corps qui s’initie à la vie, par une expérience d’apprentissage et de transmission, prend place dans un réel où la violence est partie intégrante du décor.

In Moonlight Black Boys Look Blue, le titre original du livre dont le film est inspiré, donne le ton poétique à la mise en scène. À côté de la plage, sous la lumière de la lune, Chiron, enfant, apprend à nager tenu, afin de ne pas se noyer, par un dealer. Ce dernier lui offre un lieu où se loger : sorte de baptême entre flots et mélopée. Plus tard sur la même plage, Chiron, adolescent, échangera son premier baiser avec un camarade qui l’initie aux plaisirs du corps et à son identité sexuelle. Hélas, les choses tournent vite mal et Chiron payera cher ce premier amour.

On le retrouve ainsi, dans le troisième volet de ce triptyque, sorti de prison, jeune adulte ayant choisi de reprendre les insignes du seul homme qui lui avait offert un abri. Le costume qu’il endosse lui permet de cacher ses blessures jusqu’au moment des retrouvailles avec le seul homme qui l’ait jamais touché. Il décide alors de retirer le masque et de laisser apparaître ses cassures, la marque que l’Autre a tracé sur son corps. Entre silences, maladresses et mots incertains, la tension érotique entre les deux hommes s’accentue à la fin du film. Leur amour homosexuel met en exergue une poésie retrouvée de l’acte érotique, une jouissance hétérosexuelle indépendante du sexe biologique. Apparaît alors l’amour comme lieu d’inscription d’un rapport sexuel qui n’existe que comme acte poétique.

 

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 68.

[2] Lacan J., Lacan en Italie, Lacan in Italia, 1953-1978, Milan, La Salamandra, 1978, p. 48.

[3] Foucault M., Histoire de la sexualité, La volonté de savoir, tome I, Paris, Gallimard, 1976, p.172.

[4] Lacan J., Le séminaire, livre XXI, Les non-dupes errent, leçon du 13 novembre 1973, inédit.

[5] Lacan J., Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p.194.

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