L’inclusion des non-cartésiens dans l’école
Âgé d’à peine treize ans et atteint d’un autisme sévère, Naoki Higashida a écrit un livre La raison pour laquelle je saute. Il y témoigne de sa souffrance, liée à son impossibilité à prendre la parole : « Nous, les autistes, n’utilisons jamais toutes les phrases qu’il nous faudrait, et ce sont ces paroles perdues qui causent nos problèmes »[1]. Elle s’accompagne d’une étrangeté à l’égard de son corps : « Je livre une bataille continue à l’intérieur de mon corps »[2].
Naoki déconseille l’usage inconsidéré d’images et de diagrammes dans l’éducation des autistes : « Cela nous fait nous sentir comme des robots dont chaque action serait programmée ». Il confie la tristesse qui l’envahit à voir que « les gens ne comprennent pas l’appétit de savoir qu’ont réellement les autistes »[3].
La pensée encadrée, glorifiée, par la consigne « Je pense donc je suis » qui nous fait croire que nous sommes des substances pensantes, dont la finalité serait de nous procurer le sens commun pour interpréter le monde, achoppe sur un impossible : le fonctionnement autiste, une position non cartésienne.
Pour mener à bien une véritable éducation inclusive, ce qui manque est bien plus vaste que les déclarations d’intention : il s’agit de rompre avec le quadrillage par « la pensée rationnelle ».
L’enseignement doit être conçu de façon à offrir une réelle alternative aux autistes. Il faudrait organiser l’école de sorte qu’elle puisse faire place à une autre façon de penser, à une autre façon de construire le monde, rebelle à la perspective de la représentation. Faute de cette orientation, on essaie d’imposer aux autistes un monde codifié par signaux, avec l’idée que leur mode de pensée est déficitaire et qu’ils ont un effort à faire pour s’adapter au monde des autres.
Le groupe d’enfants vivant dans une salle de l’école peut s’imaginer soit comme classe, soit comme ensemble. La classe s’organise comme un tout, rassemblé autour d’un trait caractéristique, par exemple « les enfants qui sont en deuxième année primaire ». Cette classe peut éventuellement accepter les enfants qui suivent les apprentissages et ceux qui ont besoin de renforcements ou d’appuis spéciaux, car ils ne sont pas dans la moyenne. L’ensemble, lui, est formé d’éléments hétérogènes et inclut, dans sa constitution, l’ensemble vide.
Je propose de soutenir cette dernière conception qui intègre chaque enfant avec ses singularités les plus diverses, et je définirais l’ensemble vide comme le vide de normalité. Cette perspective allégerait les enfants différents de l’impératif d’adaptation, et situerait l’effort à fournir à sa juste place, soit du côté des adultes responsables, enseignants et éducateurs, amenés à concevoir une pédagogie qui soutienne leur mission.
[1] Naoki Higashia, La razon por la que salto, Roca editorial, Barcelona, 2014, p. 49.
[2] Id., p. 153.
[3] Id., p. 155.
Traduction : Colette Richard