REMEMBER/SOUVENIRS. Le vertige de la trace.
Un après-midi d’été, assise sur les marches d’un bâtiment bruxellois désaffecté, j’attends qu’une porte recouverte d’un immense tag s’ouvre et laisse sortir la jeune femme qui nous guidera à travers les couloirs de cette ancienne firme où Denis Meyers a élu domicile pendant huit longs mois pour y accomplir son projet titanesque. Apprenant que ce bâtiment serait détruit, est venue l’idée à cet artiste urbain d’en recouvrir les murs, les portes, les fenêtres. En tout, ce seront près de 25000 m2 qui porteront la trace de l’artiste. En entrant dans le monde de Denis Meyers, notre regard est aussitôt aspiré par ces mots qui se sont empilés à l’encre noire avec plus ou moins d’intensité. Des verbes pour la plupart. Hors temps. Hors cadre.
Lorsque nous pénétrons dans l’intime de l’artiste, les mots deviennent illisibles. On se trouve à la lisière du voir et du comprendre. Le sens nous échappe. Restent seules en scène des traces hors sens qui captent notre regard par leur trait, mystérieux, fluide, céleste, délicat, enchanteur, obscur.
Impossible donc de tout voir, de tout comprendre. Et puis, tout à coup, ces lettres s’effacent pour laisser apparaître dans le vide laissé par cet échafaudage de lettres, cette phrase de René Char : « Ne te courbe que pour aimer ». Le sens de la phrase n’apparaîtra au visiteur que dans un second temps. C’est l’écriture comme bord qui d’emblée capture notre regard. Bord du précipice. Bord entre le sens et le réel qui échappe à toute signification et qui coule entre les mots de l’artiste. Bord sur lequel, tenus à un fil, le vertige nous assaille et nous transforme, nous, spectateurs, qui cherchions, en franchissant cette lourde porte de métal, une autre voie pour appréhender notre réel.
Depuis ce bel après-midi d’été, nous avons assisté, non sans émotion, à la destruction de cet immense bâtiment empreint de ces traces. Aujourd’hui, Denis Meyers renaît à la Galerie Macadam et nous invite à plonger dans sa nouvelle exposition, Rebirth, accessible du 21 avril au 21 mai.