La jolie robe à fleurs d’Almodóvar
La piel que habito est un film proche du réel et éloigné du sens. Un film pour lacaniens ? Peut-être. Mais il s’agirait du dernier Lacan alors !
Dans La piel que habito, un chirurgien brillant, sadique et traumatisé par sa propre tragédie, prend en otage le supposé violeur de sa fille, Vicente, et décide de faire des expérimentations de laboratoire sur le corps du jeune homme. Il lui impose une vagino-plastie et un changement de sexe, le transformant en transsexuel « forcé ». Le médecin s’occupera de lui faire une nouvelle et belle peau, très résistante, à l’aide de peau transgénique fabriquée à partir de cellules de porc.
Ce film apparemment obscur s’avère lumineux, lorsqu’il nous met face à un sujet qui ne se laisse pas écraser par son drame. Une nouvelle identité sexuelle lui est imposée. Il était un homme, ou en tout cas il en avait l’air, et on le transforme en femme… En tout cas, il en a l’air ! Le film nous indique que la peau n’est qu’un lieu à habiter. Vous habitez Boulevard de Ménilmontant et vous déménagez à la rue de Belleville ? Quoi de plus banal ?! Le changement qui consiste à quitter la peau d’un homme, l’aspect d’un homme et à déménager dans un corps de femme pourrait ne pas être si saugrenu ou si fou que ça. La finesse de Pedro Almodóvar se situe en ce point : il y a quelque chose qui ne déménage pas, qui ne change pas pour Vicente, et c’est sa jouissance. Ce qui était déjà là pourra prendre forme et s’épanouir. Il le saisit lorsque, désespéré, il entend les paroles d’un cours de yoga à la télévision : « Il y a un lieu en toi que personne ne peut détruire ». Il y aura de la rébellion bien sûr et même beaucoup de souffrance. Il ira jusqu’à faire une tentative de suicide et voudra constamment fuir son bourreau.
Mais à côté de cela, le film ne cesse de déployer son goût pour la mascarade féminine, pour la jolie robe à fleurs habillant le corps d’une femme. Et c’est ainsi que Vicente, devenu Vera, s’en donnera à cœur joie. Il était encore un homme lorsqu’il avait demandé à sa collègue lesbienne d’essayer cette robe, pour pouvoir la regarder et être séduit par ce corps féminin bien habillé. « Mais Vicente, tu sais bien que je n’aime pas les hommes, tu n’as qu’à l’essayer toi-même ! » lui dira-t-elle. Ce qu’il finira par faire lorsqu’il deviendra une femme.
En psychanalyse, il s’agit de faire au mieux avec ce qu’on a fait de nous. Il est impossible de changer ce qu’on a fait de nous, venu de l’Autre, mais notre réponse à ce façonnage a toute sa valeur. Cette réponse nous responsabilise.
Il semble difficile d’imaginer comment Vicente aurait pu éviter cette prise d’otage et le drame qui a suivi. En revanche, malgré la douleur, il a accepté sa jouissance préexistante. Celle-ci a trouvé sa place dans son nouveau corps de femme. On lui a, certes, imposé un destin, mais il est parvenu à en faire un usage sinthomatique.