Hors-cadre

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« The objective of this work is to be the object of our discussion »

 

Vous n’y êtes pas allé ? Pas encore ?

Vous le connaissez ? Non ? Pas vraiment !

Normal, il se fait peu voir, il n’imprime rien, il refuse les photos ou la permanence de ses œuvres. Il ne veut laisser aucune trace, aucun livre, aucun texte.

Je suis à Paris, j’ai le temps d’une après-midi. Une chance, une « bonne-heure », une rencontre, je découvre Tino Sehgal.

Le Palais de Tokyo lui a donné carte blanche. C’est un artiste hors-norme, il fait des œuvres hors-norme. Difficile de l’épingler, il échappe à toute définition. Pour connaître ses œuvres, il faut s’y impliquer, les vivre dans un échange permanent où le spectateur se transforme à son insu en acteur.

À mon entrée dans le Palais de Tokyo, un jeune m’approche, il m’interpelle :« Qu’est-ce qu’une énigme ? »

Pris au dépourvu, je bafouille, il répète sa question, un sourire malicieux au coin des lèvres. Je dis quelque chose, je ne sais plus quoi, mais il a l’air satisfait, c’est le sésame, il m’invite à découvrir le bâtiment en sous-sol !

Un sous-sol immense, vide, terriblement vide, aucune œuvre à première vue.

Est-ce une expo, un musée, une galerie ? Je ne sais !

Le bâtiment dans ses fondations n’est pas terminé, le lieu est insolite avec un vague terrain d’herbe, de mousse, de terre et des salles nombreuses, étranges, troubles. Chacune révèle une surprise, une bizarrerie.

Les œuvres paraissent inexistantes. Petit à petit, je découvre que celles-ci sont bien là, cachées et disséminées dans cet espace qui ressemble à une usine désaffectée. Toutefois, les œuvres ne se réduisent pas aux objets.

Surgit une impression étrange que nous – les gens qui déambulent dans ces salles immenses – incarnons d’une certaine façon l’œuvre elle-même. Des jeunes, des vieux, des enfants, des personnes, que je croyais être des visiteurs, m’interpellent et m’apostrophent, me sourient ou me regardent, en attente de ma réponse ou de ma réaction.

L’atmosphère est calme, presque apaisée et pourtant il y a aussi un sentiment d’inquiétante étrangeté. De l’eau ruisselle dans une des salles, un poisson argenté flotte entre deux espaces dans une autre, un escalier dévale sur un mur blanc.

Quatre personnes dans une pièce parlent, un dialogue s’y déroule. Seulement, chacun parle face à un mur. Ils y parlent du désir de la mère, de la séduction, de commencer ou non une psychanalyse et d’autres choses encore. Ils ne cessent de répéter comme un leitmotiv : « The objective of this work is to be the object of our discussion ».

Qu’en comprendre ? Cela se répète, se mord la queue, seule la voix surgit de cet énoncé qui ne signifie plus rien à force de se redire. Le signifiant devient ritournelle, le corps s’affecte.

Je veux sortir ! Un des locuteurs qui se situe à l’entrée du couloir se déplace et m’en empêche.

On ne sort pas. Je ris, d’autres s’y essayent, le rire se propage, nous sommes contraints et forcés d’entendre continuellement : « The objective of this work is to be the object of our discussion ».

Tino Sehgal n’est pas le seul artiste dans le Palais. Il a invité Buren aussi, Parreno et Gonzalez-Torres, il projette une œuvre forte de James Coleman où un match de boxe est projeté, un match sans cesse interrompu par une respiration saccadée ! La vision se fait regard, elle touche au corps.

Le temps est suspendu, j’ai perdu mon identité, je me retrouve autre à moi-même, j’adore.

Vite, c’est jusqu’au 18 décembre. C’est du hors-norme. Dépêchez-vous !

 

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