Tim, l’homme tatoué

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Pendant l’enfance, Wim Delvoye était poussé à devenir aussi bon peintre que Rubens[1]. Il n’a jamais peint, mais est devenu une icône de l’art contemporain grâce à ses tapis peints, ses pelles, ses planches à repasser, ses bouteilles de gaz peintes en bleu de Delft, ses goals en verre et acier. Dernièrement, il a tatoué des cochons. « Quand je tatoue un cochon, je peux être aussi bon que Rafael ou Murillo, aussi doux que baroque avec Marie, l’enfant heureux et Cupidon»[2] L’égalité entre hommes et cochons n’est pas un problème : « Manger et chier, c’est la vie ».

Les difficultés rencontrées avec des groupes de protection animalière ne l’ont pas empêché de continuer à agir de façon hors-norme : « Au diable les règles ! Retournons à l’autonomie et à la libre entreprise de la renaissance artistique ! »[3] Il découvre alors une ferme artistique près de Pékin où des collectionneurs peuvent acheter des cochonnets tatoués et les laisser grandir ou encore acheter la peau d’un cochon mort. En vieillissant, le cochon acquiert plus de valeur. Les critiques d’art pensent que son travail est une critique de la société de consommation ou des systèmes organisés par la science. « Je ne suis pas vraiment contre, plutôt ironique. J’en ris. Je n’ai pas d’opinion. Finalement, quelle opinion peut avoir un homme sur quelque chose d’aussi présent que Dieu : notre économie ? L’économie est partout. »[4]

Notre attention s’est tournée vers un sommet de son travail de tatouage, Tim, l’homme tatoué. En 2006, Delvoye prépare une expo à Zurich et cherche quelqu’un qui se porte volontaire pour lui tatouer le dos et ensuite vendre sa peau. Tim Steiner signe un contrat acceptant de montrer « le travail » trois fois par an, lors de shows publics ou privés. « Je trouvais cela cool qu’on se rappelle de moi, mais on s’est rappelé de Wim et pas de moi. C’est un Wim Delvoye et pas un Tim Steiner. »[5]

Au début, un collectionneur de Hambourg s’est porté acquéreur de l’œuvre : « Mais Wim demandait que je sois un lot sur lequel les gens puissent faire offre. […] Wim appelle cela une marchandise. Rik Reinking la possède actuellement, la valeur monte et il [me] vend, sans arrêt, jusqu’à ma mort. Comme n’importe quelle autre pièce du marché ».[6]

Être une œuvre d’art fait que Tim se sent plus vivant, « mais avec la charge énorme de [sa] propre mort dans un coin de la tête ». Ainsi est-il resté assis dans une boîte en Tasmanie sans bouger pendant cinq-cents heures. « Cela n’est pas une performance artistique, car je ne suis pas un artiste, je suis une œuvre d’art, réalisée par quelqu’un d’autre. Les pensées mortifères ne me dérangent pas trop, c’est ma dépendance aux autres qui, parfois, m’ennuie. »[7]

Avec ce summum, la pulsion de mort est impliquée. L’œuvre d’art ne sera achetée qu’après la mort de Tim. Cela s’appelle une « désublimation » de l’art : l’objet d’art est ravalé au rang de déchet, incarnant la réellisation de l’être humain dans l’objet a. Ce faisant, W. Delvoye lève le voile sur l’art. Il ne s’agit pas de beauté, mais d’argent. Tout cela est-il pure ironie d’artiste, ou bien est-ce le réel contemporain d’un artiste imprégné du discours capitaliste, discours qui, de nos jours, déloge tous les autres discours ?

[1] Daenen W., « Interview de Wim Delvoye », De Morgen, 9 juin 2003, pp. 44-46.

[2] Laster P., « Bringing Home the Bacon : Wim Delvoye », ArtAsiaPacific, septembre 2007, pp.154-159.

[3] Theus H., « Esprit d’entreprise responsable : les kakmachines de Wim Delvoye au Luxembourg, Montagne de Miel », 2 octobre 2007.

[4] Breerette G., Wim Delvoye: « Je cherche à donner une cotation à l’art », Le Monde, 26 août 2005.

[5] Redbubble, 11 juillet 2012.

[6] Idem.

[7] Idem.

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