« Devenez comme des machines ! »

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Une collègue psychologue vient d’intégrer un poste de remplacement comme conseillère d’orientation auprès de l’Éducation Nationale. Tout de suite, c’est la sidération : il lui est demandé de faire passer des WISC (test qui donne une « photo » comptable des capacités d’un enfant) à des élèves qui ne suivent pas en classe, soit du fait de leur retard, soit du fait de leur comportement. Ceci, en vue d’une demande auprès de la MDPH – Maison Départementale de Porteurs de Handicap. Elle demande à rencontrer ces élèves pour entendre ce qu’ils peuvent dire de leurs difficultés et, surtout, pour leur offrir une chance de mettre des mots sur ce qui leur arrive. Il lui est signifié qu’il faut agir le plus rapidement possible pour orienter ces élèves vers des structures qui peuvent leur correspondre : SEGPA, ULIS, ITEP ou… IME. Il semble donc qu’actuellement, la fonction de conseiller d’orientation n’est plus au service de l’élève, mais au service de l’institution qui a besoin de mettre un nom sur le dérangement que ces élèves présentent et qui, souvent, se résume par cette phrase : « Il ne fait plus son métier d’élève » (sic). Le site de la MDPH fait valoir que « la personne handicapée est au cœur de ce dispositif de service public, grâce à une réelle prise en compte de son projet de vie et une évaluation fine de ses besoins par une équipe pluridisciplinaire »[1]. En fait, cette équipe discute du « dossier de l’enfant », à partir d’un document qui contient un certain nombre d’items produisant une synthèse de ce dossier. Il s’agit du document appelé GEVA-Sco[2]. Beaucoup se contentent de lire les petites cases. D’autres, quelques fois, arrivent à s’appuyer sur le décalage qu’essaie d’introduire cette collègue pour donner consistance à l’enfant à travers ses résultats, mais au prix d’une grande détermination qui n’est pas souvent comprise. Sur le même site, il est noté que « tant que les parents n’ont pas effectué une saisie à la MDPH, le dossier de l’enfant n’est pas examiné »[3]. Ainsi, toute difficulté doit passer obligatoirement par une demande faite à la MDPH. Il apparaît que nous avons fait un pas de plus dans la gestion de la vie dans ce que Michel Foucault appelait « les sociétés disciplinaires »[4] dans lesquelles la surveillance des corps adolescents était médicalisée : lorsque les parents détectaient un problème, il fallait aller consulter un psychologue ou un psychiatre. Actuellement, le « trouble » a laissé place au handicap. Une maladie se diagnostique, se soigne. Un handicap se mesure et s’appareille. Ce qui, finalement, se déduit logiquement de ce que Jacques-Alain Miller situe comme la grande promesse : « Devenez comme des machines. Vous serez comme des machines »[5].

 

[1] www.mdph.fr

[2] GUIDE UTILISATION du GEVA-SCO « Guide d’Evaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation » GEVA-SCO Première demande. www.mdph77.fr/library/GEVASCO

[3] http://web.ac- toulouse.fr/automne_modules_files/pDocs/public/r29632_61_4annexe_1_guide_utilisation_geva-sco, p. 3.

[4] Foucault M. « Les anormaux », cours au Collège de France (1974-1975), Paris, HESS, Seuil, 1999.

[5] Miller J.- A., « L’ère de l’homme sans qualités », La Cause freudienne, n°57, juin 2004, p. 92.

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