Logique comptable et haine de la psychanalyse

Depuis longtemps dans les institutions du médico-social, la psychanalyse a été un repère théorique pour les psychologues. Or depuis cinq ans, face aux Plans Autisme, les directions nous demandent de nous conformer aux recommandations de bonnes pratiques, transformant ces recommandations en injonctions et repoussant le plus loin possible les théories psychodynamiques et la psychanalyse. Psychologues orientés par la psychanalyse, nous nous sommes demandé comment lutter dans notre institution contre ces attaques. Nous avons répondu dans un premier temps par la clinique, soutenus par les directeurs humanistes. De petits groupes de travail clinique se sont créés en marge de l’institution, pour travailler les cas, en dehors même de notre temps de travail. Nous étions animés par notre seul désir de clinique.
À la suite du deuxième Plan Autisme, encore assez souple, un forum sur l’autisme fut organisé auquel les psychologues de l’unité où je travaille ont largement participé. Nous y avons montré comment il était possible de travailler d’une autre manière en tenant compte de la causalité psychique et de la singularité de chaque sujet, autiste ou pas. Nous avons présenté des cas cliniques, là où les psychologues ayant opté pour les méthodes des TCC présentaient le récit de leurs méthodes. Nous parlions des sujets dont nous nous occupions, tandis que les autres collègues présentaient les techniques qu’ils utilisaient.
Avec le troisième Plan Autisme, une nouvelle direction se fit le chantre de la méthode ABA, et décida de prendre en main la situation. Comment faire autrement, disait-elle, pour avoir des financements, que de suivre les recommandations de la HAS et de l’ANESM ? Après la réponse par la clinique, il s’agissait pour nous, psychologues orientés par la psychanalyse dans cet établissement, de dire non, de dire que tout n’est pas possible. L’équipe traversa un moment très fort de souffrance, à cause de la grande difficulté à se faire entendre. L’obligation de suivre des formations ABA, puis la demande de pratiquer ces méthodes après seulement quelques heures de formation, ont amené des collègues à démissionner. D’autres ont investi les instances représentatives du personnel, afin d’être à pied d’œuvre pour faire encore entendre la voix de l’abord clinique, malgré des représailles mesquines, comme la suppression des bureaux fixes, mettant en péril les thérapies des adolescents.
Puis ce fut au tour de l’équipe éducative de souffrir devant le traitement de la souffrance des adolescents accueillis. Ainsi, dans le « Pôle autisme », il ne s’agissait plus de traiter la souffrance des sujets, mais de comptabiliser les manifestations de l’émergence de cette souffrance. On compte avec des échelles : « Aujourd’hui, il a crié X fois, hier Y fois… C’est mieux, très bien. Renforçons : ce soir un peu plus de Nutella en récompense. » On compte aussi avec des clickers, petites boites métalliques utilisées pour le dressage des chiens dangereux à la SPA. On est donc toujours dans une logique comptable, qui ne demande que l’exécution des ordres, faisant fi du traitement de la souffrance dès lors qu’elle est comptabilisée.
Pourquoi ne pas penser que le choix de la logique comptable des politiques de santé qui se produit dans ce type d’institution – Établissement Public National – dévoile au grand jour une haine pour la psychanalyse, qu’elle cherche à éradiquer, sous couvert de scientificité ?