Un ovni artisanal dans le discours social contemporain

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Sans doute n’est-ce pas un hasard que Ma vie de courgette[1] n’ait pas remporté les Golden Globes qui lui ont préféré Zootopie dont le synopsis est des plus ordinaires.

Ma vie de Courgette, film d’animation réalisé par Claude Barras et dont le scénario a été écrit par Céline Sciamma, sort pourtant du lot sous bien des aspects : d’abord dans sa conception de fabrique, puisque sa réalisation est entièrement franco-suisse et en stop motion. Ce film d’animation a pris le parti d’animer des marionnettes sans fil hyper stylisées. La minutie pour chaque détail est donc au rendez-vous ainsi que le corps des marionnettistes  ensuite dans la manière de considérer le film d’animation non comme un divertissement, mais comme une façon de s’adresser aux enfants non pas pour leur expliquer quelque chose, mais plutôt « se mettre à leur hauteur, à savoir entendre ce qu’ils ont à dire »[2] : il s’agit donc de s’adresser à eux comme à de véritables petits sujets en devenir d’adultes en évoquant les questions existentielles qui traversent chaque parlêtre plutôt que de penser pour eux.

Ce film nous donne à voir comment la famille peut être le lieu de tous les malentendus et traumatismes et, au lieu de nous faire croire à une solution uniforme, Claude Barras et Céline Sciamma font le pari que chacun trouvera à inventer sa solution propre pour se faire une place dans le monde.

Courgette, petit garçon de neuf ans qui tue accidentellement sa mère alcoolique, veut garder cette nomination, alors que son prénom sur le registre est celui d’Icare. Avec cette frappe signifiante, il y a trouvé déjà une façon de se loger en l’Autre, aussi peu joyeux soit-il, mais il y tient. Par ailleurs, il n’a pas de père, mais peu importe, car il s’est construit un cerf-volant qui en a la fonction !

À une époque où l’on détricote les institutions, le foyer dans lequel il atterrit, prend valeur d’abri. C’est là que la canette de bière, unique souvenir de sa mère et arme du « crime », trouvera un autre destin, puisque Courgette la transforme pour l’offrir à celle dont il tombe amoureux.

Raymond, le flic qui vient lui rendre visite, outrepasse sa fonction d’agent public. On peut y lire en filigrane sa tentative de réparer sa relation compliquée avec son propre fils.

Simon, un autre personnage, semble être un dur à cuire alors qu’il est un cœur tendre, écartelé entre la jouissance toxicomane de ses parents et son désir de la voir condescendre à une autre voie par le biais de mots qui lui seraient adressés.

Comme le dit si joliment Céline Sciamma, le point commun de ces enfants, c’est qu’ils vivent ce paradoxe de débuter leur vie alors qu’elle est déjà brisée. « Toute la puissance de ces petits personnages réside dans le fait qu’ils vivent une enfance contrariée, mais en même temps dans tout le ressort qu’ils ont de devoir déjà se réinventer »[3]. À l’image de ce film d’animation, qualifié par Claude Barras d’« énorme atelier de bricolage », Ma vie de Courgette est donc une sorte de conte où la douleur et la joie d’exister sont la monnaie d’une même pièce et avec celle-ci, chacun façonnera son bricolage d’être au monde.

[1] Barras C., Ma vie de Courgette, film franco-suisse, 2016.

[2] https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-1ere-partie/celine-sciamma-ma-vie-de-courgette-est-un-film-qui-libere-la parole.

[3] https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-1ere-partie/celine-sciamma-ma-vie-de-courgette-est-un-film-qui-libere-la parole.

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