Le danger de devoir renseigner

Depuis le 3 juillet 2015, l’ordonnance d’exécution de la loi d’application du Code pénal suisse prévoit, pour le psychiatre et psychologue valaisan, un devoir de signalement[1].
Qu’est-ce qui inquiète tant dans la relation condamné-thérapeute ? Le danger ! Il obsède et il est traité par la contrainte d’un tout vouloir savoir.
Comment ? En obligeant le soignant à signaler les indices d’un risque.
Ceux-ci sont listés par l’autorité qui se base sur des échelles actuarielles du risque de violence.
Sur le versant du manque : « Deux absences consécutives sans motifs valables à une séance de psychothérapie ; l’arrêt du suivi thérapeutique, décidé par le condamné ; le non-respect de la prescription médicamenteuse ordonnée au titre de traitement forensique »[2].
Sur le versant de l’excès : « une consommation de substance toxique dénotant d’un changement d’attitude ; un risque suicidaire ; l’hospitalisation d’urgence ; la présence de facteurs ou de situations à risque ; un changement persistant d’attitude tel de la passivité, de l’agressivité, de la nervosité ; un changement persistant d’attitude lors de la psychothérapie, tel une diminution de l’investissement ou une détérioration de l’alliance thérapeutique ; des déclarations extraordinaires exprimant de l’hostilité, un désir de vengeance, des menaces envers autrui ou l’autorité ; un changement persistant de positionnement vis-à-vis des actes commis (refus d’en parler, négation ou refus d’en assumer la responsabilité) ; une difficulté notable à gérer une situation de conflit, une déception ou une frustration ; un attrait inhabituel pour la violence, les armes ou des activités sexuelles réprimées par le code pénal ; finalement la connaissance de préparatifs d’infractions ou d’évasion ».
Il va sans dire que le condamné sait aujourd’hui parfaitement ce qu’il ne doit pas dire, ce qu’il ne doit pas montrer.
Trois meurtres de femmes sont à l’origine de cette ordonnance qui a eu raison du secret médical dans le soin des condamnés. Ces crimes ont conduit à chercher un autre coupable : le psy qui n’aurait rien dit sur la dangerosité de chaque meurtrier. Cette recherche de nouveaux fautifs forclot le véritable coupable, l’auteur, et rend suspect tous ceux qui l’accompagnent. Difficile dans ces conditions de cadre, d’inventer une clinique hors-norme qui suppose un sujet et qui soutient l’assomption d’une faute sans coercition[3].
Le devoir de renseigner me rappelle cette phrase de Roland Barthes : « le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire »[4]. Sombre atteinte au lien social !
[1] https://legvs.vs.ch/sites/legvs/FR/20/law/311_200/pdf
[2] Raggenbass R., « Des chimères du monde juridico-pénitentiaire au « Pégase » de l’espace de la rencontre thérapeutique », BMS, 2011, 92, 28/29 et « La rencontre psychiatrique ordonnée », BMS, 2012, 93, 26.
[3] Maleval J.-C., Étonnantes mystifications de la psychothérapie autoritaire, Navarin, Paris 2012.
[4] Barthes R., « Leçon inaugurale », 7 janvier 1977, Essais, Seuil, 1978, p. 14.