Écho du documentaire « Pas comme des loups »

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C’est sous l’accent du désir que s’est déroulée la soirée Cinéma avec Lacan au cinéma le Concorde, à Nantes, le mercredi 12 avril ! Désir du réalisateur, Vincent Pouplard, d’amener chacun à s’interroger sur ses préjugés et à porter un autre regard sur ces « exclus de la société » que sont Roman et Sifredi, deux frères de vingt ans, qui ont fait de leur mode de vie « anti système » un véritable choix. Désir de Régis Noël (monteur) et Emmanuelle Jacq (productrice) qui étaient là pour nous raconter avec générosité l’aventure de ce documentaire. Et désir de Roman et Sifredi eux-mêmes, puisque c’est eux qui, après avoir rencontré la caméra de Vincent Pouplard, lui ont demandé de les filmer. Ces deux frères se définissent par la négative : sans travail, sans logement fixe, sans femme, etc., sommes-nous des hommes ?

Vincent Pouplard les a rencontrés en 2008 ; ce n’est qu’en 2014 que commence le tournage qui durera plus d’une année. Ce documentaire s’est donc nourri d’une longue période de rencontre et cela se ressent dans les dialogues, car les deux frères se livrent avec authenticité. Sur leurs questionnements, leurs doutes, leurs choix : « Il y a plein de choses que l’on ne sera jamais […] on ne sera jamais comme tout le monde […] on ne sera jamais quelqu’un, c’est quoi être quelqu’un […] on n’aura jamais un métier […] ».

Fouzia Taouzari, qui animait le débat avec Remi Lestien, a souligné l’évolution des deux frères au fur et à mesure du tournage : au départ, ils étaient dans le paraitre, la mise en jeu du corps. Puis, le fait que le réalisateur coupe la caméra à chaque fois qu’ils étaient dans la monstration a fait interprétation pour eux, il y a eu coupure et mutation subjective : ils se sont mis à parler. Ils sont passés d’un « se faire regarder » à un « se faire entendre ».

Ce qui m’a touchée, c’est à quel point ces deux frères et leurs amis proches, que filme Vincent Pouplard, se montrent appliqués dans chacun des gestes de leur quotidien : pour faire leur ménage, dessiner, choisir avec goût le fruit qu’ils vont manger, ils ne sont en effet vraiment « pas comme des loups ». Cette vie « hors norme » connait ses règles et son organisation, ses habitudes, etc. Et si les jeunes avaient, au départ, un rapport à la caméra compliqué, où ils voulaient mettre en avant leur corps, le réalisateur est vraiment allé chercher autre chose. « Tout le travail du réalisateur a été de faire en sorte qu’ils prennent possession du film. »

Et je trouve que c’est vraiment ce à quoi l’on assiste dans ce documentaire : à une véritable naissance à la parole. Des sujets émergent, se livrent, découvrent le plaisir de parler et que l’on s’intéresse à ce qu’ils ont à dire. Et leur parole devient l’objet précieux de ce documentaire. Alors qu’ils étaient, au début du documentaire, sérieux, préoccupés de leur image, ils se mettent à sourire, rire, prennent plaisir à essayer de dire leur singularité. Il y a un moment magique où ils prennent la caméra. Ils se filment eux-mêmes. Ils s’interrogent entre eux : « Et vous, monsieur, qu’est-ce que vous voulez faire dans la vie ? » Il y a, à partir de là, une véritable préoccupation de définir son être par rapport à la société. « On vit le moment présent, pas de calcul », expliquent les deux frères.

Une femme dans la salle prend la parole : « On ne ressent pas la délinquance dans ce documentaire, il y a beaucoup d’humanité, de culture, j’étais loin d’imaginer cela d’un milieu de délinquants, c’est plein de délicatesse. » Une autre poursuit : « Malgré un parcours difficile, il n’y a pas de plaintes, ces jeunes ne se présentent jamais comme des victimes. » Régis Noël confirme que ces jeunes ont fait de ce mode de vie un choix que la caméra leur permet de subjectiver : « Ils regardent la société et ça ne leur fait pas envie. »

Solen Roch souligne que le réalisateur a permis qu’un lien à l’autre se fasse, alors qu’ils prenaient le chemin de s’isoler de plus en plus du monde. Un plan du documentaire les montre face à la mer, alors qu’ils s’interrogent : « Comment on fait pour se raccrocher ? »

La réponse est dans ce documentaire poignant : on se raccroche à une rencontre, on se raccroche parce que quelqu’un a eu, un jour, du désir pour vous, et que ce désir est solide et sincère. C’est ce que démontre toute l’équipe de ce documentaire, qui s’est investie et a noué de véritables liens d’amitiés avec ces jeunes, amitié qui se poursuit depuis plus de cinq ans. Le film est, en soi, cathartique.

Nous souhaitons à ce documentaire et à toute l’équipe qui le porte de poursuivre une très belle aventure, pleine de succès et de surprises !

 

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