Les nouveaux désobéissants[1]

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L’art hors-les-normes, également appelé l’art en marge ou l’art singulier, constitue un mouvement contemporain post art brut qui regroupe des créateurs autodidactes et prône une forme d’art originale et spontanée, allant à l’encontre de l’art officiel, consensuel et autorisé, qu’il interpelle de façon vivante.[2]

Pourraient se loger sous cette enseigne les actions menées par certains collectifs artistiques et citoyens en vue de remailler d’une façon nouvelle le tissu social, mis à mal par un excès de prescriptions et de contraintes. Ceux qui s’y engagent, souvent désignés comme artivistes, visent une réappropriation singulière de l’espace public en tant qu’espace destiné à l’usage de tout un chacun, lequel tend à disparaître au profit d’espaces toujours plus surveillés et laissant toujours moins de place aux manières non conformes d’en user.[3]

On rencontre ainsi à Bruxelles le Collectif Manifestement, qui a organisé « la première manifestation démocratique de l’Histoire », et donc sans titre, afin de laisser place à la revendication singulière de chacun des participants.[4]

Le collectif Touché Coulé veut, quant à lui, s’opposer au fonctionnalisme urbain et stimuler poétiquement la réappropriation de l’espace public en faisant de la ville elle-même, par ses interventions illicites, une œuvre d’art pouvant être librement façonnée.[5]

Par ailleurs le collectif britannique Reclaim the Street ! (Libérez les rues !), né en 1994 et visant à une réappropriation sauvage, temporaire et festive de l’espace public, a connu dans le monde entier nombre de répliques, dont en Belgique, les fameux Picnic the street.[6]

Brigades activistes de clowns, de jardiniers, anti-pubs, théâtre-actions, flash-mob, nombreuses sont donc ces initiatives qui s’apparentent à une prise d’assaut récréative et performative de l’espace public.

Cependant, il existe aussi des groupes beaucoup plus discrets et que l’on qualifie parfois d’acktivistes tant leur mode opératoire s’apparente à celui des hackers sur la toile.

Ainsi Urban eXperiment[7], groupe clandestin spécialiste de l’infiltration né dans les années ’80 à Paris, n’a été découvert qu’après vingt ans d’activités.

En 2004, une dénonciation conduit la police sous le palais de Chaillot, à un complexe souterrain de 400 m2 doté d’un bar et d’une salle de projection où La Mexicaine De Perforation (section artistique d’U.X.) organisait tous les ans un festival de cinéma. A peine quelques jours plus tard, de mystérieux déménageurs avaient subtilisé l’ensemble du matériel au nez des policiers, laissant ce simple message : « Ne cherchez pas ».

En 2006 on découvre cette fois Untergunther (section restauration de patrimoine de U.X.) dont quatre membres sont assignés en justice par le Centre des Monuments Nationaux pour avoir restauré en douce l’horloge Wagner du Panthéon, un chantier qui leur a pris un an et coûté 4000 euros, et dont ils avaient informé l’administrateur afin qu’il se charge de la remonter chaque semaine.

Investir de façon clandestine, positive et apolitique les « délaissés urbains », ces espaces publics sous-utilisés, voilà donc la devise d’U.X.

Mais au delà des musées, stations de métro, piscines et autres lieux discrètement investis aux heures de fermeture, les délaissés urbains sont aussi ceux que l’on découvre sous l’objectif des urbexeurs, ces aventuriers d’un genre nouveau qui parcourent le monde en quête, non de terres inexplorées, mais de lieux abandonnés et a priori inaccessibles, recelant une histoire singulière et oubliée qu’ils s’attachent à restituer.[8]

Ces désobéissants de tous poils qui œuvrent de façon affichée ou clandestine aux confins de la légalité pour redonner sens aux notions de collectif et de singulier, frayent la voie à de nouveaux modes d’émancipation quant aux normes qui rendent toujours plus étriquées les possibilités d’un vivre ensemble, et nous rappellent, avec Bernanos, que pour faire un peuple libre, il faut beaucoup d’indisciplinés.

 

[1] Cervera-Marzal E., Les nouveaux désobéissants : Citoyens ou hors-la-loi ? Le Bord de l’eau, 2016.

[2] http://artbancal.over-blog.com/article-52498924.html

[3] http://next.liberation.fr/arts/2011/02/18/artivistes-en-actions_715767

[4] http://www.manifestement.be/2013/index.htm

[5] http://desordres-poetiques.blogspot.be/p/presentation.html

[6] http://www.collectifartivist.be/actions/reclaim-the-streets/

[7] https://www.franceculture.fr/architecture/untergunther-reparateurs-clandestins-du-patrimoine, https://framablog.org/2012/05/15/urban-experiment-hacker/, http://www.article11.info/?Lazar-Kunstmann-porte-parole-de-l et https://seminesaa.hypotheses.org/7794

[8] http://www.urbex.me/, https://www.rtbf.be/info/societe/detail_l-urbex-ou-la-balade-aux-confins-de-la-legalite?id=8335515 et http://www.lavenir.net/extra/urbex

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