Transparent est elle une série sur les particularités des transgenres ?

Dans sa « Note sur le père » en 1968, Lacan présage « une ségrégation ramifiée, renforcée se recoupant à tous les niveaux » liée à l’« évaporation du père »[1]. À mon sens, cette note accentue deux types de ségrégations, l’inclusive et l’exclusive. C’est sur la ségrégation inclusive que je veux mettre l’accent.
La ségrégation exclusive fait rage avec la crise politique et économique. Accrochée aux intérêts nationaux avec la réclamation d’une l’identité liée au territoire et à la race, elle entraîne un processus permanent d’exclusion de l’Autre, qui la subit. Mais, dans le même mouvement, la mondialisation produit des « néo-ségrégations »[2], dans lesquelles des sujets trouvent une nomination et une identité de jouissance autour de l’identification à une communauté – dans la série, c’est la communauté transgenre qui est dépeinte en premier lieu – avec une nomination qu’ils partagent. À cette nomination, imaginaire, s’ajoute la revendication active, non subie, d’un mode de vie communautaire. Cette ségrégation est inclusive, spécifique aux sociétés « ouvertes » du capitalisme le plus moderne, mais elle s’avère souvent seulement en apparence une alternative au processus de ségrégation classique ou exclusive.
Avec la série Transparent – histoire d’un parent, qui devient trans – écrite par Jil Soloway, nous avons une illustration troublante des questions identitaires liées à cette ségrégation inclusive. Le combat de cette cinéaste féministe repose sur la sortie du binarisme homme/femme par des revendications diversifiées des genres. Elle dépeint le quotidien d’une famille juive dont le père retraité annonce qu’il veut devenir une femme. Cette faille dans ce qui était garanti jusque là produit un vertige chez chacun des personnages familiaux, chacun se raccrochant alors aux particularismes communautaires. C’est le cas du père en premier lieu qui s’introduit peu à peu dans la communauté trans, la mère se raccroche, elle, aux fêtes religieuses de la communauté juive, la fille aînée essaie de trouver dans sa communauté sadomaso une boussole à sa jouissance, la sœur cadette découvre pour sa part un groupe de lesbiennes féministes, dont se fait exclure son père devenu travesti, lors d’un festival réservé exclusivement aux femmes. En effet, sortir des normes établies, pour s’inclure dans celles des communautés ne crée-t-elle pas des néonormes, de nouveaux diktats ?
À mesure que chacun se rapproche d’un groupe sexué ou sexuel, un malaise est rencontré. « Transparent n’est pas une série pour raconter comment les usages sexuels changent ceux qui les pratiquent. Il s’agit plus exactement d’attraper comment celui qui en parle est changé d’en parler »[3]. Plus encore, chaque sujet incarne par les impasses de sa parole, le pas-tout qui « vise le point de réel où la féminité est toujours rétive à la normativité »[4]. Chaque personnage ne chercherait-il pas sa différence absolue, qui n’est pas celle de la différence communautaire, mais celle de sa singularité de jouissance ?
Le père travesti découvre qu’il peut vouloir devenir femme, tout en maintenant un lien sexuel avec une femme. Alors qu’il est au seuil de sa transition de corps, il regarde sa compagne et lui dit : « Au fond, est-ce que tu aimes mon pénis ? » Elle lui répond : « Mais oui. » Surpris, c’est tout son parcours identitaire qui vacille. Qui suis-je sinon celui qui désire le désir de l’Autre ?, montage inconscient que la ségrégation communautaire obstrue.
Enfin, le malaise si bien incarné par chaque personnage dit également à quel point il y a une impossibilité à être son corps, on a un corps. Cette disjonction n’est pas le propre des transsexuels, c’est ce dont cette série traite élégamment.
[1] Lacan J., « Note sur le père », La Cause freudienne, n° 89, Navarin, 2015, p. 8.
[2] Cosenza D., « Sur la ségrégation inclusive », pipol8.pipolcongres.eu
[3] Garcia L., « Transparent au delà du genre », Hebdo Blog, n° 63, mars 2016.
[4] Leguil C., « Subversion lacanienne des théories du genre », sur www.radio Lacan.com,
http://www.radiolacan.com/fr/topic/756/4