Le Pen jamais !

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« La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas. » Ch. Baudelaire

Passagère clandestine, la psychanalyse a toujours chuchoté à l’oreille du prince[i] et du peuple, de manière à maintenir ouvert le trou qui laisse le passage à la liberté d’expression, à la divergence et aux diversités. Si elle n’est ni à droite ni à gauche, la psychanalyse est néanmoins pour la division. Un psychanalyste n’est pas un croyant, il ne suit pas de procession ! Il suit le parlêtre, dans sa vacuité primordiale, pour trouver un savoir-faire avec le trou insondable et la cause de son désir.

Toutefois, le moment actuel exige que les psychanalystes sortent de leurs cabinets, de la conversation intime entre quatre murs, pour aller vers la cité et, là, prendre la parole pour dire pourquoi ils ne veulent pas de Marine Le Pen comme Présidente de la France.

Pourquoi sortons-nous de la clandestinité ?

Il est de notre responsabilité de prendre part au débat public pour dire NON à une candidate qui ravive la logique de la ségrégation. Les promesses de campagne du Front National visent à ostraciser l’étranger, l’étrange, le différent, le hors-norme. Hier c’étaient les juifs, aujourd’hui ce sont les immigrants. Et demain… !? Ils diront non à l’immigration, au Marché Commun Européen, à l’Euro, à une politique qui tend à créer du lien avec l’Autre. Ils diront NON au lien social en dehors des frontières nationales, et OUI à la peine de mort, dans un discours qui s’est transformé récemment en une perpétuelle et réelle prison.

Avec Lacan nous savons que sur l’axe spéculaire, quand cet « entre eux et nous » est porté à sa dernière extrémité, la mort est toujours de la partie. Freud, dans son « Au-delà du principe de plaisir », disait déjà que, si c’est la conjugaison d’éléments divers et hétérogènes qui promeut la vie, l’opération de disjonction et l’isolement par contre accélèrent sa fin. Et c’est bien là qu’est le péril qui nous menace, demain, avec M. Le Pen.

La jouissance de l’idiot

L’ordre symbolique n’est plus le même au XXIe siècle : nous entrons dans une nouvelle ère dont le mouvement définit un autre destin aux formes que prend la société. Les nouvelles configurations subjectives se reflètent dans l’administration politique, dont l’exercice s’est revêtu des oripeaux du capital et du scientisme pour colmater un nouveau discours.

Spectaculairement, c’est alors que surgit le radicalisme « idiot » – comme la jouissance auto-érotique du masturbateur obstiné, cf. Trump et sa bande ! –, qui se répand comme une traînée de poudre sur le monde occidental, laissant entrevoir que la promesse non réalisée par l’extrémisme du système néolibéral va imploser dans les méthodes totalitaires de l’Extrême Droite.

La réjouissance, qui participe de l’alignement et de la capacité de capture d’un tel discours, révèle sa puissance, elle produit de l’échec et de l’impotence – banqueroute de la promesse consumériste du capital. Cette banqueroute est récupérée par la droite populiste qui accuse l’ouverture des frontières, la libre circulation des personnes et la globalisation des groupes qui passent outre le pouvoir des états, d’être les responsables du fiasco. Elle se sert de l’illusion narcissique, irrésistible et interminable, selon laquelle, seuls, nous sommes plus et meilleurs. Simplicité philosophique, populisme bon marché : le plus grand problème, ce sont les autres, alors éliminons-les ! Où sont les idiots ?!

L’ADN Lepenien

Notre expérience ordinaire nous alerte : la politique de contrôle des populations, qui se présente sous un nouvel habit tissé d’hygiénisme, est une résurgence des vieilles tactiques de ségrégation dont la réactivation ne nous préserve pas de nouveaux camps de concentration. La pulsion de mort joue ici sa partie dans le cours normal des civilisations : « Ne savons-nous qu’aux confins où la parole se démet, commence le domaine de la violence, et qu’elle y règne déjà, même sans qu’on l’y provoque[ii] », comme l’a dit Lacan en une formule qui constitue une orientation formidable pour les jours qui viennent !

M. Le Pen s’emploie à maintenir sous silence toute voix qui n’est pas l’expression du plus pur français. Elle semble croire que le problème de la France réside dans son alliance avec les autres langues, avec les autres pays, les autres peuples, les autres cultures, les autres marchés. Sa politique est de la protection radicale, de la fabrication du « pur produit national ». Elle hisse les couleurs du « Frexit now ! »

La force de la répétition ici engendrée nous éclaire plus encore sur le réel en jeu. Si nous isolons l’ADN de cette proposition de gouvernement, dont les racines inoubliables resurgissent sans cesse dans la saga lepenienne – on voit ici le phallus absolu[iii] s’installer pour la gloire du père – cette répétition fera résonner, une fois proclamés le renforcement et l’isolement de la nation par le Front National, l’ancienne alliance de la logique fasciste. La possibilité qu’un tel discours accède au pouvoir dans le premier pays porteur « Des Droits de l’Homme et du Citoyen » constitue un péril pour n’importe quelle nation, et pour toute l’humanité.

La responsabilité d’un analyste !

Il fait partie des tâches d’un analyste, dans la solitude de sa pratique, de destituer la croyance en toute solution universelle, la croyance dans les impératifs de l’ordre de fer, dans la pensée unique. Il le fait en diluant les identifications de masse et en soutenant la vitalité du trou opérant. Dans le quotidien de notre expérience, de Freud à Lacan, l’opération analytique engendre le pas tous là où prévaut le pour tous, elle promeut la division là où règne le radicalisme, elle ouvre des possibles là où le pouvoir asphyxiant et ségrégatif du discours totalitaire gouverne.

La politique de la psychanalyse opère comme un poumon artificiel là où des situations de silence s’installent. Je dirais qu’aujourd’hui, un bâillon infernal est imposé, principalement aux jeunes étrangers, immigrants, étranges, différents. Dans l’objectif de contrôler ce que sera demain, on prétend faire taire leurs voix : un nouvel état policier frappe à la porte de cette élection. Ce qui s’expose sans réserve est la faillite des institutions et de leurs discours, l’abîme entre la promesse et la vie réelle. Et les jeunes du monde entier le savent, pendant que le phallus mène sa bataille[iv].

Le PEN jamais !

Le moment est grave, l’enjeu est bien un projet de société. Et, sur les questions de société, l’analyste ne peut se taire ou rester neutre. Aucune société ne se guérit de l’humus qui la constitue. La question n’est donc pas de savoir comment guérir l’homme de sa jouissance, mais elle concerne la forme de la réponse que peut apporter la société face au réel sans loi, au malaise qui se trouve dans la civilisation, et au désordre incessant qui est à la base de ses fondements ? Sur quelles ressources une société peut-elle compter pour réguler ce qui n’a de cesse ?

La réponse de M. Le Pen est le discours ségrégatif. Nous, psychanalystes, nous venons rendre public notre NON ! Non, la réponse de M. Le Pen ne fait pas lien social, elle le détruit au contraire ! Il est impossible de nettoyer les cités des marques de la pulsion. Nous ne cesserons de questionner cette réponse de MLP. Il n’existe pas de cité aseptisée. Toute prétention à la réaliser culmine dans le fait qu’historiquement, des humains alors la désertent.

« La psychanalyse, c’est l’exact envers du discours du Front National », comme l’a bien dit C. Alberti. M. Le Pen, c’est l’envers d’un projet de société !

Je suis brésilienne. Les contingences de mon lien avec l’étranger m’ont donné la nationalité française. Le 23 avril, j’irai à l’isoloir voter pour la première fois. Le Pen, certainement pas !

Traduction : Pierre-Louis Brisset

[i] MILLER, J-A. Lacan et la politique, Cités, 4/2003 (n° 16).

[ii] LACAN, J. Introduction au commentaire de Jean Hyppolite. In  Écrits. p.375.

[iii] LACAN, J. Le Seminaire, livre X, p.131.

[iv] LAURENT, E. Expression utilisée lors dune conversation sur la chute du phallocentrisme, conséquences pour la psychanalyse.

 

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