L’a-normalité du désir ou comment mieux nommer la jeune homosexuelle ?

« […] l’accès au désir nécessite de franchir non seulement toute crainte, mais toute pitié, que la voix du héros ne tremble devant rien, et tout spécialement pas devant le bien de l’autre […] »[1]
Aller au-delà du désir de l’Autre implique de pouvoir se nommer soi-même, de se passer du Tu es cela – avec l’équivoque qui sonne : « Tuer cela », qui renvoie le sujet vers la pulsion de mort et vers sa place d’objet assignée par l’Autre. L’analyse permet au sujet de se nommer à partir d’un noyau de jouissance qu’il cerne grâce au dispositif de la cure. En suivant cette lecture de ce qu’est une analyse, nous comprenons mieux pourquoi le fait de parler de « la jeune homosexuelle », le fait de l’avoir nommée de cette manière, n’a pas aidé la patiente de Freud à connaitre quelque chose de sa jouissance particulière. Se limiter à gloser l’« homosexualité » de la patiente ne nous dit rien d’elle.
Par contre, son lien fusionnel à son chien Petzi[2] s’avère particulièrement révélateur. Il vaut comme une armure pour son corps. Il lui a permis d’avoir une consistance pendant une longue période de sa vie. L’amour pour son chien est le plus singulier de ce qu’elle aurait pu rapporter en analyse. Son animal de compagnie aurait pu aider la patiente à cerner quelque chose de sa propre problématique concernant la jouissance de son corps et l’impossibilité pour elle d’avoir des relations sexuelles avec les hommes, et aussi, le fait est frappant, avec les femmes.
L’ironie de ce cas réside donc dans sa nomination par Freud de « jeune » et d’« homosexuelle ». Si on lit sa biographie, on apprend que Sidonie Czillag, de son vrai nom, a vécu jusqu’à cent ans. En réalité, cette femme n’avait rien d’une homosexuelle : elle ne ressentait pas le désir sexuel d’approcher le corps d’une femme. Elle préférait envoyer des fleurs, caresser la main, écrire des poèmes d’amour… Bref, entretenir des amitiés entre femmes sans se mouiller, si l’on ose dire !
À la fin de sa vie, elle se donnera malgré tout le statut de « lesbienne dans le siècle », afin de se constituer un ego réparateur. Sans doute cette désignation était-elle vitale pour elle, en lui permettant de créer un lien social avec les autres et en lui donnant une consistance imaginaire : la lesbienne de Freud qui avait survécu à l´holocauste, avait été libre jusqu´à la fin de ses jours et représentait un modèle d’héroïne moderne.
Aussi, pour le psychanalyste, le fait de dire qu’une personne est « homosexuelle » ou « lesbienne » n’a, en réalité, pas grand intérêt, puisque cela n’aide pas à cerner la singularité de la jouissance qui constitue son sinthome.
Le « pour tous » n’est pas un emblème de la psychanalyse, bien au contraire, cela entraine le plus souvent une identification qui aliène le sujet à un nouveau dictat du discours du Maître. Une identification à un signifiant de l’Autre. Or le transfert que l’analyste noue avec son analysant arrête net ce fonctionnement. L’analyste accompagne son patient à trouver sa solution, sa manière de se nommer, afin qu’il puisse se passer du formatage identificatoire. S’inventer son sinthome, voilà ce que la psychanalyse propose comme modalité de nouage du réel, du symbolique et de l’imaginaire.
En ce sens, on peut dire que les queers, ces petits-enfants rebelles de la jeune homosexuelle, s´approchent de ce que vise la clinique lacanienne. Ils et elles se désignent, en effet, selon la jouissance qui leur est singulière, en se passant du système identificatoire du mouvement gay et lesbien. En dehors de toute loi morale et d’une norme quelconque, dans un cas comme dans l’autre, on choisit donc d’aller au-delà du discours du Maître pour suivre l’a-normalité de son désir.
[1] Lacan, J., Le Séminaire, livre VII, L ́Ethique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 372.
[2] Thèse doctorale soutenue en janvier 2015 à l’Université de Paris 8: « De l’énigme au paradigme: la psychanalyse n’est pas homophobe ». Pour consulter en ligne: http://www.theses.fr/2015PA080104