À un acte muet, une norme muette

Colombine, Minnesota, Virginia, Sandy Hook, ce sont les noms d’un réel sans loi dont le dénominateur commun tient à l’acte aussi tragique que radical ayant amené des jeunes gens à ouvrir le feu à l’intérieur d’établissements scolaires. Pour la plupart de ces événements assourdissants, l’instant de « donner la mort » précède l’instant de « se donner la mort ». Les effets, à tous les niveaux, sont nombreux.
Trois mille deux cents kilomètres de frontière séparent et, à la fois, relient les États-Unis et le Mexique. Les deux voisins entretiennent depuis toujours une relation teintée de fascination et de rejet. Devant l’horreur de ces faits de sang incompréhensibles et perpétrés par de jeunes Américains sur d’autres jeunes Américains, la réaction de la société mexicaine a souvent été de conclure, non sans une pointe de satisfaction : « Cela n’arrive pas chez nous. »
Ce fut plus ou moins exact jusqu’au mercredi 18 janvier 2017. Ce jour-là, dans la ville de Monterrey, Federico, un adolescent de quinze ans, élève d’un prestigieux établissement privé, s’est rendu à son collège comme tous les jours. Une fois installé dans sa classe, il a sorti de son cartable un pistolet et a reproduit le dispositif mortel utilisé avant lui par tant d’autres jeunes Américains : il a tiré sur ses camarades, sur sa professeure, puis sur lui-même. Les caméras de vidéosurveillance ont conservé l’intégralité de ce moment. La société mexicaine se regarde désormais dans un nouveau miroir : « Cela arrive aussi chez nous. »
L’enquête policière a obtenu quelques éléments, bien insuffisants, à propos de la personnalité de Federico. Exclu de plusieurs écoles, suivi pour des « troubles dépressifs », ce garçon avait du mal à « trouver sa place ». En témoigne le plan de la salle de cours où l’on aperçoit les pupitres organisés par binômes, à l’exception de celui de Federico, installé seul au fond de la salle.
Mais au-delà de la blessure individuelle, familiale et sociale que ce fait nouveau représente, c’est la réaction intempestive de l’État mexicain qui en renforce la portée mortifère. Dès le lendemain, le Président a annoncé la remise en place du protocole « Sécurité Cartable ». Ce dispositif concerne la totalité des établissements scolaires du pays et consiste en la fouille systématique du cartable de chaque élève au moment d’entrer dans l’enceinte scolaire. Ainsi, cette réaction regrettable s’avère être un aveu d’impuissance. En cédant à la tentation hyper sécuritaire comme seul moyen de prévention des risques, les institutions parient sur un vain mirage : le « tout voir » injonctif l’emporte sur la responsabilité éthique de « vouloir savoir ». En effet, cette dernière va au-delà du simple fait de braquer un œil scrutateur sur les cartables des élèves, et impliquerait la volonté de prendre en compte leur malaise grandissant et leurs souffrances au un par un.
Ce que Gérard Wajcman appelle à juste titre la « tyrannie de la transparence » trouve ici une triste illustration : si un élève l’a fait, tous les élèves peuvent le faire. En conséquence, cette réponse du gouvernement mexicain fait de chaque élève un délinquant en puissance. À un acte muet, une norme muette. Nos sociétés continueront de le payer cher.
NB : À l’heure de conclure ces lignes, une dépêche de l’AFP datée du jeudi 16 mars 2017 informe : « Fusillade dans un lycée de Grasse : un élève interpellé, au moins deux blessés. »