Incasables !

En France, début 2016, un questionnaire[i] relatif aux jeunes en situation d’« incasabilité » a été adressé aux cadres des institutions accueillant des sujets entre neuf et vingt-cinq ans. Cette enquête a pour objectif de recenser ces jeunes dits incasables afin de mieux connaître leurs parcours mais aussi d’identifier les « bonnes pratiques »[1] pour leur prise en charge. Ce questionnaire n’est pas une authentique recherche mais une tentative de standardisation se faisant sous l’accent du soupçon. Or, le standard court-circuite l’Autre. Tout écart n’est plus lu comme un symptôme mais comme un comportement à rééduquer avec une norme à atteindre, un idéal.
Que ce soit du côté des sujets accueillis ou de celui des professionnels, cette évaluation est aussi ségrégative et « produit des classements, désignant les meilleurs, stigmatisant implicitement les autres »[2]. Ce questionnaire descriptif sur les comportements n’est pas anonyme : les noms des institutions, villes, départements apparaissent. Les parents ne sont pas oubliés non plus. Ce chiffrage ne relève-t-il pas des formes modernes du contrôle social des familles visant le maintien de l’ordre ?
Est aussi oublié que la jeunesse est avant tout un temps de formation, « un moment critique où s’opère une disjonction entre l’Autre du symbolique, de l’autorité, et l’Autre du corps, entre le lieu où ça se dit et le lieu où ça se jouit »[3]. Quelque chose de nouveau surgit avec l’irruption de la sexualité qui va avoir à trouver sa forme définitive en passant par un changement d’objet. Le teenager se trouve démuni face à ce réel de la jouissance qui lui tombe dessus. L’angoisse est de mise ainsi qu’une crise du langage[4]. Si Freud affirmait que « l’école ne doit jamais oublier qu’elle a affaire à des individus encore immatures, auxquels ne peut-être dénié le droit de s’attarder dans certains stades, même fâcheux, du développement »[5], est-ce toujours le cas au XXIe siècle ? Les jeunes peuvent-ils s’attarder, lambiner dans nos sociétés contemporaines avides de rentabilité ?
Enfin, « ce que la psychanalyse doit donner comme but à une institution, c’est sûrement d’instaurer partout la particularité contre l’idéal. »[6] Prendre acte de l’impossible pour s’extraire de l’impuissance. Incasables, ne le sommes-nous pas tous au un par un ?
[1] La ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes a diligenté la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) pour cette enquête.
[2] Maleval J.-C, « L’évaluation suspicieuse », INA, n° 10, février 2010, p.10.
[3] Roy D., « Jeunesse des ados », Hebdo Blog, n°65, mars 2016.
[4] Cf. Lacadée Ph., L’éveil et l‘exil, Nantes, Éditions Cécile Defaut, 2007.
[5] Freud S., « Pour introduire la discussion sur le suicide » [1910], Résultats, idées, problèmes, Tome 1, Paris, puf, 1984, p. 132.
[6] Laurent É., « Institution du fantasme, fantasmes de l’institution », Les feuillets du Courtil, n°4, 1992, p.8.