La vibration des mots est issue de ce que les normes ne peuvent contenir

Il ne reste plus qu’une quinzaine de jours pour connaître le sort d’Asli Erdogan, condamnée d’avoir menacé l’unité de l’État turc par ses chroniques. Elle risque la perpétuité. Auteur reconnue par- delà les frontières, traduite et publiée dans différentes langues et dont la traduction française de son dernier livre est, à nouveau, paru chez Actes Sud[1]. De son écriture affleure une fragilité qui cherche à se distendre de l’étreinte infantile de la frayeur qui l’a violentée. Son premier asile : l’écriture.
En 2015, Erri de Luca, écrivain qui ne renonce pas « à défendre la liberté de parole des sans-voix et des plus démunis»[2] a été condamné en Italie pour « incitation au sabotage » sous prétexte qu’il aurait utilisé l’univocité de ce mot provocant ainsi des actes délictueux car sa « voix porte ». Mais qui entend l’univocité de la langue ?
S’attaquer aux auteurs indique la violence avec laquelle on veut normer la langue qui nous habite, dans une tentative illusoire de la faire transparente à elle-même.
Dans ce My Way, Renata Cuchiarelli met en valeur, à partir du livre, Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, comment la science techniciste a l’ambition « d’annuler tout sujet constitué par la rencontre avec le langage » tandis que Serge Cottet nous indique le statut réel de l’écrit comme ce qui dérégule les normes.
Pierre Malengreau, Yohan de Schrijver et Maxime Annequin s’attèlent à Ponge, Pessoa, Lovecraft qui ont occupé la position « hérétique de la bonne façon »[3] dans un travail incessant pour repriser avec la vie. Pour le premier par la mise en exergue de la matérialité des mots ; pour le second, par l’usage de l’écriture pour ouvrir la voie à son « moi », réduit à personne, la possibilité de se hisser pour ne pas s’abîmer dans l’inquiétante étrangeté. Pour le troisième, la vie n’étant que « plaisanterie », l’écriture, qualifiée comme un « élégant divertissement », vient border l’ironie mortelle.
Sophie Simon évoque la pratique d’écriture toute singulière d’Amélie Nothomb et comment la publication de certains de ses écrits est une façon de ne pas s’y noyer.
Joséphine Duquesnoy nous parle du spectacle « Ça ira » de Pommerat comme l’écho de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire dans le dire.
Enfin avec Raphaël Montague, nous découvrons l’invention de Derek Pyle : à partir de Finnegan’s wake, une œuvre musicale originale, collective et indépendante des contraintes normatives est créée.
[1] Erdogan A., Le silence même n’est plus à toi, Lonrai, Actes Sud, 2016,170p.
[2] http://www.liberation.fr/planete/2015/10/18/erri-de-luca-engage-sur-toute-la-ligne_1406827
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil,,p.15
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