L’être sexué ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres
Dysphorie de genre est le diagnostic qui, dans le DSM-V, se réfère « à la souffrance qui peut accompagner la non-congruence marquée entre le genre vécu ou exprimé par la personne et le genre assigné »[1]. Il remplace le trouble de l’identité du genre repris dans le DSM–IV.
Les critères diagnostiques pour la dysphorie du genre sont précisés pour les enfants, les adolescents et les adultes. Pour chaque catégorie, la non congruence entre le genre vécu et le genre assigné doit être présente depuis au moins six mois. Ces critères, pour les enfants et les adolescents, vont du désir ou de l’affirmation d’appartenir au sexe opposé à la préférence vestimentaire ou au travestissement ; de rôles, jeux, jouets, activités, compagnons du genre opposé, au dégout de sa propre anatomie et au désir de caractéristiques sexuelles primaire et/ou secondaire du genre vécu. En ce qui concerne les adultes, les critères se déclinent de façon variée entre genre vécu et/ou exprimé, et celui attendu et/ou désiré. La dysphorie de genre est considérée comme indépendante de l’orientation sexuelle, même si on constate que les enfants montrant une persistance de la présence de ces critères sont attirés par des individus du même sexe « de naissance ». La dysphorie de genre concerne, en effet, l’ego, l’identité.
Le film The Danish Girl de Tom Hooper, basé sur une histoire vraie, nous montre comment l’identité, coupée du désir et de la jouissance, peut se révéler ravageante : Lili Elbe, née Einar Wegegener, « sent » croitre en elle une nouvelle identité féminine. Il décide de subir, encouragé par son épouse avec laquelle il avait jusqu’alors partagé une vie d’artiste, plusieurs interventions de réaffectation sexuelle. Le film, à l’instar du LGBTQ[2], soutient l’héroïque pionnière qui, avec l’aide d’un médecin entré dans son délire au prix de la mort – dans la réalité, advenue à la cinquième intervention lors de l’implantation de l’utérus – a tenté d’atteindre à son aspiration maximale : devenir une femme pouvant avoir des enfants.
Le terme de dysphorie utilisé en psychiatrie pour indiquer une altération dépressive de l’humeur est le symptôme du retour du grand oublié de cette classification : l’objet. Comme Freud nous l’enseigne, dans la mélancolie, l’ombre de l’objet tombe sur le moi, et le moi identifié à l’objet perdu subit la réprobation de la conscience morale. La dysphorie nous montre un manque qui concerne l’objet et non le moi. Le DSM-V souligne le fait que les enfants « nés filles » expriment le désir d’avoir un pénis ou affirment en posséder un qui grandira plus tard. Cette affirmation n’est pas sans nous rappeler la description que Freud faisait déjà de la réponse de la petite fille qui découvre la différence sexuelle : elle a déjà vu le phallus, elle sait ne pas le posséder, mais veut l’avoir.[3] Plus tard, l’assomption de son propre manque conduit la petite fille vers différentes solutions possibles, entre autres « le complexe de masculinité » que l’on peut retrouver dans le choix homosexuel[4]. Désir et choix d’objet sont les boussoles qui orientent la psychanalyse et soutiennent le sujet dans l’assomption de son propre sexe.
S., née avec un trouble de la différenciation sexuelle, a subi une première opération dans sa prime enfance. Elle a grandi comme une petite fille, puis comme une adolescente. Adulte, elle décide de se doter d’un vagin. S. n’a jamais eu de doute sur son identité sexuelle, mais depuis l’opération, elle se demande ce que signifie être une femme et s’interroge sur ce qui rend femme. Elle ne cesse de se casser la tête sur ces interrogations, jusqu’à ce qu’elle prenne conscience que le problème est insoluble, parce que l’identité sexuelle féminine est sans consistance et qu’elle ne pourra y construire une réponse qu’à travers une rencontre avec l’Autre.
La solution du gender tel que repris dans le DSM-V ou dans les revendications du LGTBQ va dans le sens d’une auto-nomination : chacun choisit le sexe qu’il désire, que ce soit à travers la solution légale ou médico-chirurgicale. La solution psychanalytique s’oriente autrement : pour Lacan « l’être sexué ne s’autorise que de lui-même … et de quelques autres »[5], il s’agit, dans la psychanalyse, d’une nomination qui inclut un Autre dans lequel le sujet a déplacé ses propres objets et duquel il dépend.
Traduction : Salvina Alba
[1] American Psychiatric Association, Mini-DSM-V, p. 193.
[2] Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender, Queer.
[3] Freud S., « Quelques conséquences psychiques à la différence anatomique des sexes », Œuvres, vol. X p. 211.
[4] Freud S., « Sexualité féminine », Œuvres, vol. XI, p. 67.
[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 9 avril 1974, inédit.