Le particulier du hors-norme

#

« Ce qui a changé dans la politique c’est la nouvelle société des normes. […] Elle consiste à remplacer les lois, le système légal, par le système des normes, des normes de santé »[1].

L’addictologie est une création du discours universitaire, polygame, pacsée avec le discours du maître et celui du capitalisme afin de rentabiliser la première union. Il existe en France depuis quelques années, des Centres de soin et de prévention pour tout individu se présentant sous ce signifiant « addict ». Qu’il s’agisse d’une drogue, légale ou non, ou de toute autre activité, l’addictologie travaille à réguler les consommateurs du trop. Le travail, par exemple, figure dorénavant dans la dernière édition de la bible des addictologues[2].

Le réel de l’addictologue est de l’ordre de la possibilité du comptage de la jouissance : un peu, beaucoup, passionnément, à la folie. Cette pseudoscience tente d’inventer un savoir dans le réel : soit de l’ordre du chiffrage statistique, soit de l’ordre d’une soi-disant preuve visible via l’imagerie cérébrale. N’hésitant pas à confondre les effets avec la cause, elle calcule, décortique, isole, afin de dégager « le un pour tous ». La psychanalyse est, comme le rappelait récemment Jacques-Alain Miller, « une étreinte avec le particulier, le non-universel, ce qui ne vaut pas pour tous, alors que le discours du maître, renforcé de son pacte avec la science, est sous le régime “du pour tous”. »[3]

Comment avons-nous répondu aux nouvelles normes ?

Nous sommes tous addicts au langage, parce que nous sommes tous des êtres parlants, c’est ce qui différencie l’homme de l’animal. Si notre jouissance est fondamentalement addictive, car liée au langage, elle n’est pas comptabilisable.

Les protocoles d’accueil standardisés pour tout addict ne nous ont pas effrayés, car nous accueillons tous les sujets – surtout ceux que la psychiatrie ne veut plus. Si le dsm a créé une épidémie de dépression, l’addictologie crée une épidémie d’addiction. Alors nous avons fait avec les nouvelles demandes, celles de « l’ère de l’homme sans qualités »[4]. Si les signifiants maîtres actuels, outre l’addiction, sont par exemple : les usagers, la personne, le cerveau…, nous accueillons des sujets parlants avec notre boussole, le réel en jeu dans chaque cas. Voici quelques exemples où une nomination par le signifiant « addict » était une tentative de traiter la jouissance :

Bénédicte se saisit des signifiants de la modernité « addiction au cannabis » pour évoquer sa haine d’elle-même et ses scénarios de suicide.

Sylvain circule entre différentes nominations : toxicomane puis islamiste. Il en invente une troisième : artiste, qui lui permet d’habiller son être de déchet.

Notre force, c’est le savoir psychanalytique et notre savoir-faire avec les êtres parlants. Nous ne reculons pas devant le transfert, nous accueillons le réel en jeu au « un par un ». Cette formation issue de notre cure analytique permet de traiter la jouissance en jeu, au-delà des signifiants de la modernité.

[1] Laurent É, Intervention à la journée de l’UDSM, le 17 octobre 2014, inédit

[2] s./dir Reynaud M. & al, Traité d’addictologie, 2ème édition, Paris, Éditions Lavoisier, mai 2016.

[3] Miller J.-A., « Question d’École : Propos sur la Garantie du 21/01/2017 », Hebdo Blog n°94, le 29 janvier 2017.

[4] Miller J.-A., « L’ère de l’homme sans qualités », La Cause freudienne, Paris, Navarin/Seuil, n° 57, juin 2004, p. 93.

Print Friendly